Le marché des terres rares

Le différend commercial entre la Chine et les États-Unis, qui a débuté l’an dernier, s’est intensifié la semaine dernière, lorsque la première a menacé les seconds de ne plus les approvisionner en terres rares, des métaux essentiels à la fabrication de produits de haute technologie. La Chine concentre 70 % de la production mondiale de terres rares.

L’actu

Plusieurs médias officiels chinois ont publié la semaine dernière des articles envisageant la possibilité pour la Chine de cesser de livrer aux États-Unis des terres rares, des métaux utilisés dans la fabrication de produits de haute technologie. Dans un éditorial non signé paru mercredi dernier, le Global Times, un journal affilié au Parti communiste chinois (PCC), a écrit : « Nous pensons que si les États-Unis continuent d’étouffer de plus en plus fortement le développement de la Chine, la Chine utilisera tôt ou tard les terres rares comme une arme. » Le lendemain, Le Quotidien du Peuple, l’organe de presse officiel du Comité central du PCC, soulignait la « dépendance gênante des États-Unis à l’égard des terres rares en provenance de Chine », tout en invitant les Américains « à ne pas sous-estimer la capacité de la Chine à riposter ». Ces publications surviennent après que le président américain, Donald Trump, a signé le 15 mai un décret interdisant aux entreprises américaines d’utiliser du matériel fabriqué par des entreprises présentant un risque pour la sécurité nationale, visant en particulier l’entreprise chinoise de télécommunications Huawei. Pour limiter la dépendance des États-Unis, un rapport commandé fin 2017 par Donald Trump et publié ce mardi par le département du Commerce propose d’accélérer la recherche et d’intensifier le recyclage de ces minéraux.

L’éclairage

Que sont les terres rares ?

Découvertes entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle par des chimistes suédois, allemands et français, les terres rares regroupent 17 éléments métalliques tels que le cérium et le praséodyme, dont les propriétés électroniques, chimiques et physiques sont devenues indispensables à l’industrie. Les terres rares sont par exemple utilisées dans la fabrication d’articles de haute technologie, comme les écrans tactiles des smartphones et les disques durs des ordinateurs, ou encore de produits de la transition énergétique, tels que les moteurs et les batteries des véhicules électriques et les aimants des éoliennes. Contrairement à ce que leur nom présuppose, les terres rares sont relativement abondantes dans la croûte terrestre, mais elles sont peu concentrées dans les gisements et donc plus difficiles à extraire et à raffiner que les métaux classiques. Dans une tribune publiée en mai dans Libération, Michel Latroche, directeur de recherche au CNRS, explique que le traitement des terres rares est une industrie peu lucrative et très polluante, impliquant des « rejets d’acides » et « de déchets radioactifs ». Il ajoute que ces caractéristiques ont conduit les pays industrialisés occidentaux « à abandonner progressivement cette production » pour « s’approvisionner auprès de fournisseurs étrangers, notamment en Chine ».

Quel est l’état du marché ?

La Chine a produit l’an dernier 120 000 tonnes de terres rares, loin devant l’Australie (20 000 tonnes) et les États-Unis (15 000 tonnes), les deuxième et troisième producteurs mondiaux, selon les données de l’USGS, un organisme américain consacré aux sciences de la Terre. La Chine a développé cette industrie à la fin des années 1970 avant d’inonder le marché avec des terres rares à bas prix dans les années 1990, mettant fin à une période de domination des États-Unis. En 2012, les États-Unis, l’Union européenne et le Japon ont déposé plainte devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) contre les quotas appliqués par la Chine sur les exportations de terres rares. Selon eux, l’industrie chinoise profitait de sa position dominante pour réduire l’offre à l’export dans le but de faire grimper les prix. L’OMC leur a donné raison en 2014 et les quotas chinois ont cessé en 2015. Cet épisode a incité les pays européens et les États-Unis à diversifier leurs approvisionnements. En 2012, la production de terres rares a été relancée sur le site de Mountain Pass, en Californie, où elle avait été abandonnée en 2002. Cette mine a été rachetée en 2017 par un consortium dirigé par une société minière chinoise.

Quelles sont les alternatives possibles ?

Dans un dossier publié en 2017, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), un organisme public français spécialisé dans les sciences de la Terre, note que l’une des pistes privilégiées en Europe « pour atténuer le monopole chinois » ainsi que « l’impact environnemental des procédés de traitement » est le recyclage. À l’heure actuelle, seulement 1 % des terres rares contenues dans les déchets d’équipements électriques et électroniques sont recyclés dans l’UE, du fait d’une rentabilité encore limitée. Dans une interview accordée au site professionnel Batiactu, Gaétan Lefebvre, économiste des ressources minérales au BRGM, note que « les promesses du recyclage sont des promesses limitées à partir du moment où les besoins sont croissants ». Il cite comme exemple le plomb, un métal « recyclé à 100 % depuis de nombreuses années », ce qui n’a pour autant « jamais réduit son extraction ». C’est ce que l’on appelle le « paradoxe de Jevons ». Dans un ouvrage publié en 1865, l’économiste britannique William Stanley Jevons (1835-1882) observe que le progrès technique a permis de réduire la quantité de charbon utilisée pour faire fonctionner une machine à vapeur, rendant cette dernière moins chère à exploiter pour les industriels. Ces derniers étant plus nombreux à en équiper leurs usines, la demande en charbon a donc augmenté, d’où le paradoxe.

Pour aller plus loin

Évolution du marché. Dans une vidéo de cinq minutes diffusée sur France 24, la journaliste Line Rifai retrace l’histoire du marché des terres rares, depuis la domination des États-Unis à celle de la Chine.

Paradoxe de Jevons. Dans un article publié dans la revue de sciences humaines et sociales La Vie des idées, le doctorant en histoire de l’économie Gabriel Lombard passe en revue les travaux de plusieurs économistes sur l’exploitation des ressources épuisables, dont ceux de William Stanley Jevons et l’invention de son paradoxe.