Le secteur du luxe
Le chiffre d’affaires du secteur des biens personnels de luxe a retrouvé son niveau d’avant la crise liée à la pandémie de Covid-19. Plusieurs économistes ont déterminé les caractéristiques de ces biens qui ne répondent pas aux règles économiques classiques.
L’actu
Le chiffre d’affaires mondial du secteur des produits personnels de luxe est attendu à 283 milliards d’euros en 2021, selon des prévisions publiées jeudi dernier par Bain & Company, un cabinet international de conseil en stratégie et management. Les produits personnels de luxe englobent le prêt-à-porter, la maroquinerie, les chaussures, les montres, les bijoux, les cosmétiques et les parfums. Le secteur du luxe dans son ensemble regroupe également les jets, les yachts, les voitures, l’hôtellerie, les cliniques, les croisières, la restauration, les vins et spiritueux, la décoration et l’art, selon Bain & Company.
Progressant de 29 % par rapport à 2020, année pendant laquelle il s’était fortement contracté en raison de la pandémie de Covid-19, le chiffre d’affaires des produits personnels de luxe dépassera de 1 % celui de 2019, selon la prévision de Bain & Company. Le cabinet explique cette reprise par « le rebond de la consommation locale, particulièrement en Chine et aux États-Unis, et la performance des ventes en ligne ». En revanche, en Europe, au Japon et dans le reste de l’Asie, les ventes sont encore inférieures à leur niveau de 2019 en raison du faible nombre de visiteurs étrangers.
Le groupe français LVMH, numéro 1 mondial des produits de luxe, a annoncé mi-octobre avoir réalisé sur les neuf premiers mois de 2021 des ventes en hausse de 46 % par rapport à la même période de 2020 et de 11 % par rapport à la même période de 2019.
Clin d’œil

L’éclairage
Les caractéristiques des biens de luxe
Un bien de luxe coûte en moyenne 22 fois le prix d’un bien d’entrée de gamme, selon une étude publiée en 2015 en France par les chercheurs Olivier Dehoorne et Sopheap Theng. Ils notent que la valeur monétaire des biens est le principal indicateur permettant de les hiérarchiser entre eux pour les classer dans différentes gammes. L’industrie du luxe se caractérise par « la coexistence de métiers d’art traditionnels et d’activités de haute technologie, avec un fort contenu en innovation et en design », selon une note publiée en 2013 par le ministère français de l’Économie et des Finances.
La consommation ostentatoire
Dans un ouvrage publié en 1899, l’économiste américain Thorstein Veblen est le premier à analyser la consommation des élites fortunées qu’il considère comme « ostentatoire ». Ses travaux infléchissent la théorie économique classique selon laquelle un consommateur est un être rationnel qui cherche en permanence à utiliser ses ressources pour en tirer l’utilité la plus élevée. Thorstein Veblen explique que les très riches peuvent vouloir acquérir un bien n’ayant aucune utilité directe, mais une « utilité sociale » – l’objectif étant de montrer sa richesse personnelle à l’ensemble de la société. De ce fait, alors que l’élasticité-prix d’un bien est généralement négative, c’est-à-dire que la demande baisse lorsque le prix augmente, elle est positive dans le secteur du luxe. Ce phénomène par lequel la hausse du prix d’un produit le rend plus désirable pour le consommateur est appelé « effet Veblen ».
130
Sur les 270 marques de luxe recensées dans le monde, 130 sont françaises, selon la journaliste Laurence Picot, autrice de l’ouvrage « Les Secrets du luxe. Histoire d’une industrie française » publié en 2020. Les principaux groupes français sont LVMH (Louis Vuitton, Guerlain, etc.), Kering (Gucci, Balenciaga, etc.) et Hermès. En France, le secteur du luxe emploie directement et indirectement, en incluant les sous-traitants, 1 million de personnes, selon un rapport publié en février par le Comité Colbert, une association réunissant des entreprises françaises du luxe.
Le prix des biens de luxe
Dans une étude publiée en 2007 en France, l’économiste Jean Gabszewicz explique que les prix des biens de luxe sont élevés parce que leur qualité est meilleure et parce qu’ils intègrent « une marge » mise en place dans le but de « freiner » leur consommation, « afin de préserver » leur « caractère de rareté ». L’effet de la rareté sur les prix a été étudié par l’économiste britannique William Stanley Jevons. Dans un ouvrage publié en 1871, il développe le principe de l’utilité marginale, c’est-à-dire l’utilité de la dernière unité consommée, pour expliquer la valeur des biens. Si on prend le cas de l’eau, un premier verre est précieux pour une personne qui a soif, le deuxième l’est moins, le troisième n’a presque plus de valeur. Ainsi, l’utilité marginale de l’eau décroît rapidement. À l’inverse, le diamant étant une pierre à la fois rare et convoitée, son utilité marginale diminue plus lentement. Ainsi, la valeur du diamant est plus importante, même s’il est moins essentiel à la vie.
Les liens avec la croissance
Certains économistes estiment que le secteur du luxe a des effets particulièrement positifs sur la croissance. Dans un ouvrage publié en 1931, l’économiste français Charles Gide rappelle que de nombreux biens précédemment considérés comme relevant du luxe, parmi lesquels la chemise, la fourchette et la montre, sont devenus des produits de consommation courante. Il écrit que si la société avait réprimé « tout besoin de luxe, on aurait étouffé en germe tous les besoins qui constituent l’homme civilisé, dès la première phase de leur développement, et nous en serions aujourd’hui encore à la condition de nos ancêtres de l’âge de pierre ». L’économiste américain d’origine roumaine Nicholas Georgescu-Roegen défend la thèse inverse. Dans un article publié en 1968, il explique qu’une hausse de la demande en biens de luxe se traduit par un accroissement des investissements dans ce secteur. Or ces derniers, s’ils sont plus rentables, peuvent s’effectuer au détriment de ceux nécessaires au développement économique et social des nations, qui sont porteurs d’une croissance de long terme.
Pour aller plus loin
LUXE ET HAUT DE GAMME
Dans une étude publiée en 2015 en France, les chercheurs Olivier Dehoorne et Sopheap Theng différencient le luxe, fondé sur des séries limitées, des biens haut de gamme, de qualité inférieure, qui relèvent d’une production industrielle. Ces deux types de biens peuvent être produits par les mêmes maisons.
THORSTEIN VEBLEN
Dans un article publié en 2007, le professeur en communication sociale et publique Jean-Marie Lafortune présente « La théorie de la classe de loisir », l’ouvrage dans lequel Thorstein Veblen traite de la consommation ostentatoire.