Les superprofits
L’exécutif français est pour l’heure réticent à l’idée de taxer les superprofits réalisés par certaines entreprises dans un contexte de forte inflation. La légitimité de ces profits inhabituels est mise en cause par certains économistes, tandis que d’autres les perçoivent comme une juste récompense.
L’actu
« Je ne ferme pas la porte à taxer les superprofits », a déclaré la Première ministre, Élisabeth Borne, dans une interview publiée samedi dans Le Parisien. Elle a cependant ajouté que, selon elle, « le plus efficace et le plus concret pour les Français, c’est quand une entreprise, quand elle le peut, baisse les prix pour le consommateur et donne du pouvoir d’achat à ses salariés ». Le Premier secrétaire du PS, Olivier Faure, a proposé vendredi l’organisation d’un référendum d’initiative partagée sur cette idée de taxer les superprofits. Jean-Luc Mélenchon, le fondateur du parti LFI, s’est dit favorable à cette proposition.
Le Parlement a rejeté cet été une proposition de taxation des superprofits qui était portée à l’Assemblée nationale par la gauche et au Sénat par la gauche et les centristes. Début août, la commission des Finances de l’Assemblée nationale a annoncé le lancement, en septembre, d’une « mission flash », soit une mission d’information courte, sur ce sujet, dont les conclusions sont attendues début octobre.
Ces derniers mois, dans un contexte de forte inflation, plusieurs pays tels que l’Italie, le Royaume-Uni, l’Espagne et la Hongrie ont adopté des législations afin de taxer davantage les profits de certaines entreprises.
Clin d’œil

L’éclairage
Profits et superprofits
Le profit désigne le résultat positif d’une entreprise, quand ses produits (principalement ses ventes) sont supérieurs à ses charges (ou coûts). Le terme de « superprofit » a été utilisé pour la première fois par l’économiste allemand Karl Marx dans son ouvrage « Le Capital », publié en 1867, afin de désigner un profit supérieur à la moyenne. Selon le théoricien marxiste belge Ernest Mandel (1923-1995), les superprofits adviennent lorsque de grandes entreprises monopolisent l’accès aux ressources et aux marchés en empêchant la concurrence de se développer, par exemple à travers le rachat d’entreprise ou le dépôt de brevet. Dans une note publiée en 2015, l’économiste hongrois Tibor Palankai estime que les superprofits découlent surtout d’une innovation ou d’une meilleure gestion.
Évolution des profits
Sans parler de superprofits, les économistes Sophie Piton et Antoine Vatan notaient dans un ouvrage [PDF] publié en 2018 qu’entre 1980 et 2015, « la part des profits dans la valeur ajoutée a augmenté de 7 points aux États-Unis et de 19 points en Europe ». La valeur ajoutée correspond à la richesse produite lors du processus de production. Pour pouvoir verser davantage de dividendes aux actionnaires, les entreprises ont cherché « à réduire le plus possible la part salariale » dans la valeur ajoutée, expliquent les chercheurs. Ainsi, en 2015, la part accordée à la rémunération du travail (salaires et cotisations sociales) dans la valeur ajoutée était de 60 % dans les pays européens et de 58 % aux États-Unis, contre respectivement 68 % et 65 % en 1980, selon eux.
Répartition des profits
Une entreprise dont le résultat net (après la prise en compte de l’impôt sur les sociétés) est positif peut décider de mettre en réserve ces profits, c’est-à-dire les conserver. Elle peut aussi les utiliser pour rémunérer ses actionnaires en leur versant des dividendes ou les redistribuer à ses salariés à travers des mécanismes d’intéressement ou de participation ou la distribution de stock-options ou d’actions gratuites. En France, entre 2009 et 2016, sur 100 euros de bénéfices, les entreprises du CAC 40 ont en moyenne reversé 67,40 euros aux actionnaires, ont mis en réserve 27,30 euros et ont accordé 5,30 euros de primes (rémunération hors salaire telle que stock-options, intéressement, etc.) pour les salariés, selon une étude [PDF] publiée en 2018 par l’ONG Oxfam, qui lutte contre la pauvreté.
544,8
Entre avril et juin, les 1 200 plus grandes entreprises du monde ont versé 544,8 milliards de dollars de dividendes à leurs actionnaires, un montant record et une hausse de plus de 11 % par rapport au deuxième trimestre 2021, selon un bilan [PDF] publié mercredi dernier par le gestionnaire d’actifs Janus Henderson.
Justification des superprofits
Dans une chronique publiée cet été dans L’Express, l’économiste Nicolas Bouzou jugeait les superprofits justifiés dès lors qu’ils découlent « du génie des entreprises qui les génèrent ». Il prenait l’exemple des laboratoires pharmaceutiques qui ont mis sur le marché des vaccins à ARN messager contre le Covid-19. Leurs superprofits vont permettre de « financer des investissements massifs dans la recherche » et de récompenser des actionnaires qui « ont pris un risque énorme en investissant dans des biotechs », expliquait-il. Cependant, les superprofits actuels, surtout réalisés dans les secteurs de l’énergie ou des transports, découlent de « tensions sur les marchés » et devraient à ce titre « être surtaxés », défendait début août dans La Tribune l’économiste Henri Sterdyniak. Un point de vue partagé par le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, qui a déclaré le 3 août : « Il est immoral que les sociétés pétrolières et gazières réalisent des profits records grâce à la crise énergétique actuelle sur le dos des plus pauvres, à un coût énorme pour le climat. »
Taxation des profits
La plupart des pays développés appliquent un impôt sur le bénéfice des sociétés (IS). C’est le cas de la France, où le taux normal de cet IS est passé de 33,3 % en 2017 à 25 % en 2022. Dans une note publiée en 2021, le Conseil des prélèvements obligatoires, une institution publique associée à la Cour des comptes, notait que l’IS faisant « l’objet d’une très vive concurrence fiscale entre les États », son taux moyen n’a cessé de baisser dans le monde, passant de 40,4 % en 1980 à 24,2 % en 2019. Dans Libération, l’économiste Anne-Laure Delatte explique que la taxation des superprofits consiste à ajouter une nouvelle taxe à l’IS. Fin mai, le gouvernement britannique a imposé une surtaxe de 25 % pour les entreprises pétrolières et gazières, dont le taux d’imposition passe à 65 %. Elle s’applique sur les bénéfices tirés de l’extraction d’hydrocarbures au Royaume-Uni, y compris en mer du Nord, à partir du 26 mai et jusqu’en 2025 au plus tard. Environ 200 entreprises sont concernées dont les britanniques Shell et BP et la française TotalEnergies.
Pour aller plus loin
PROFIT ET BÉNÉFICE
Le site de ressources pédagogiques SES.Webclass présente ce qu’est le profit. Il explique que le bénéfice net en est l’une des mesures dans la comptabilité et présente les principaux enjeux autour de cette notion.
VALEUR AJOUTÉE
Dans une série d’articles publiés en 2019, le site de vulgarisation économique La Finance pour tous explique ce qu’est la valeur ajoutée et présente la manière dont elle est partagée au sein des entreprises. Il aborde aussi la question des profits.