L’indexation des salaires sur l’inflation

Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a rejeté la semaine dernière l’idée d’indexer les salaires sur l’inflation, comme cela existe en Belgique. Il redoute qu’une telle indexation déclenche une spirale inflationniste, ce que les économistes appellent la « boucle prix-salaires ».

L’actu

Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a rejeté mercredi dernier l’idée d’indexer les salaires sur l’inflation, c’est-à-dire sur la hausse des prix à la consommation. Une telle indexation conduirait « à une nouvelle réduction de la marge des entreprises qui, du coup, seraient obligées de répercuter cette perte de marge sur l’augmentation des prix à la consommation », a déclaré le ministre au Sénat, lors de l’ouverture des débats sur la loi de programmation budgétaire.

Bruno Le Maire redoute qu’une telle situation conduise à une « spirale inflationniste sans fin », comme elle avait été « provoquée dans les années 1970 par une augmentation générale et automatique des salaires totalement découplée de la productivité du travail ». L’indexation des salaires sur l’inflation est une demande portée par plusieurs syndicats, dont la CGT et la FSU, ainsi que par certains élus, tels que François Ruffin (LFI) et Yannick Jadot (EELV).

En France, les prix à la consommation ont augmenté de 6,2 % en octobre par rapport à octobre 2021, selon une première estimation publiée fin octobre par l’institut national de statistiques Insee. Il attribue cette accélération de l’inflation à celle « des prix de l’énergie, de l’alimentation et des produits manufacturés ».

Clin d’œil

L’éclairage

L’effet de l’inflation sur les salaires

L’inflation correspond à une augmentation générale et durable des prix. Elle se traduit par une perte du pouvoir d’achat de la monnaie. Ainsi, pour une somme d’argent donnée, l’inflation diminue la quantité de biens et de services que l’on peut acquérir. Pour mesurer le taux d’inflation annuel, les pays suivent l’évolution de leur indice des prix à la consommation. Il est calculé à partir d’un panier fixe de biens et de services considérés comme représentatifs de la consommation des ménages. À revenu égal, une hausse de l’inflation entraîne une baisse du pouvoir d’achat des travailleurs. En France, le salaire nominal, c’est-à-dire celui qui est inscrit sur la fiche de paie, ne peut pas être révisé à la baisse sans le consentement du salarié. Cependant, son salaire réel, qui est calculé en tenant compte de l’inflation, peut diminuer s’il augmente moins vite que l’indice des prix.

L’indexation des salaires

Indexer le salaire sur l’inflation consiste à augmenter le salaire nominal en fonction de la hausse des prix. Il n’existe pas un système universel d’indexation. L’indexation peut être partielle, c’est-à-dire être réservée à certaines catégories de salariés, ou totale. Elle peut suivre l’indice des prix à la consommation ou un indice spécial, tel que l’indice des prix hors tabac. En France, un système d’indexation a existé de 1952 à 1982. Pendant cette période, les partenaires sociaux se rencontraient chaque trimestre pour augmenter les salaires en fonction de l’inflation constatée lors des deux derniers mois et de celle anticipée pour le mois suivant. En septembre 1982, dans un contexte de forte hausse des prix, le gouvernement a mis fin à ce système avec pour ambition de ralentir l’inflation. Alors qu’elle s’élevait à 13,4 % en 1981, elle a atteint 5,8 % en 1985 et 3,4 % en 1990, selon l’Insee. En France, le Smic est aujourd’hui la seule rémunération automatiquement revalorisée en prenant en compte l’inflation.

-2,9 %
de salaire réel

En France, le salaire mensuel de base (SMB ; salaire brut hors prime et heures supplémentaires) des salariés du privé a augmenté de 3,1 % entre fin juin 2021 et fin juin 2022, selon la Dares, le service des statistiques du ministère du Travail. Il s’agit de la plus forte hausse du SMB depuis 10 ans. Cependant, lorsqu’il est calculé en valeur réelle, c’est-à-dire en tenant compte de l’inflation, ce salaire a baissé de 2,9 %.

La boucle prix-salaires

L’indexation des salaires peut enclencher ce que les économistes appellent une « boucle prix-salaires ». Cette boucle est définie comme une hausse des prix des biens et des services qui entraîne une augmentation des salaires, ce qui conduit à une hausse des coûts de production que les entreprises répercutent sur leurs prix de vente, déclenchant ainsi une spirale qui alimente sans cesse la hausse des prix. Cependant, même sans système d’indexation, une telle boucle peut s’enclencher. Les salariés ou les syndicats ont en effet toujours la possibilité de négocier des hausses de salaire. Dans une étude publiée en 2012, la banque centrale de la Belgique écrivait que l’indexation permet de « réduire la perte de bien-être » collectif, car elle limite les inégalités dans l’évolution des rémunérations. Sans un tel système, les revalorisations salariales dépendent en effet directement du pouvoir de négociation des salariés, très variable selon la taille des entreprises, le secteur d’activité, le métier et la présence syndicale.

L’indexation en Europe

Dans l’UE, quatre pays disposent d’un mécanisme d’indexation des salaires : Chypre, Malte, le Luxembourg (qui a suspendu en juin son application pour neuf mois) et la Belgique. Dans ce dernier pays, les salaires sont indexés sur un indice des prix à la consommation dont ont été exclus les boissons alcoolisées, le tabac et les carburants. Le système comporte un mécanisme de plafonnement qui vise à limiter les hausses de salaire au-delà de l’inflation et à les contenir dans une fourchette proche de celles qui ont lieu chez les principaux partenaires commerciaux du pays : la France, l’Allemagne et les Pays-Bas. Dans une étude publiée en juin, l’OCDE, un organisme de recherche intergouvernemental, prévoyait que ce mécanisme augmenterait les salaires « d’environ 6 % en 2022 », soit un niveau inférieur à l’inflation (10 % en mai). Selon l’OCDE, l’indexation a des effets contraires sur la croissance belge : si elle soutient le pouvoir d’achat et donc la consommation des ménages, elle pèse sur la compétitivité et donc les exportations des entreprises.

Pour aller plus loin

POUR L’INDEXATION

Dans une tribune publiée en février sur le site de l’hebdomadaire Marianne, l’économiste Liêm Hoang-Ngoc plaide pour le rétablissement de l’indexation des salaires sur l’inflation en France. Il explique que la situation actuelle diffère de celle des années 1970, époque où les syndicats étaient en position de force pour obtenir des hausses de salaire supérieures à l’inflation, et présente un mécanisme qui permettrait de mieux répartir la création de richesses entre les entreprises et leurs salariés.

CONTRE L’INDEXATION

Dans une analyse publiée en octobre sur le site du cercle de réflexion Terra Nova, un haut fonctionnaire écrivant sous le pseudonyme d’Alexandre Durain défend la non-indexation des salaires sur l’inflation. Rappelant que l’inflation actuelle est principalement liée à l’envolée des prix du gaz dans le contexte de la guerre en Ukraine et de la baisse de la production domestique d’électricité, il estime que la meilleure façon de lutter contre cette hausse des prix est de mettre en œuvre un plan de sobriété et de décarboner le mix énergétique de la France.